Les indemnités d’éviction en matière de bail commercial
Entreprises / Gestion de l’entreprise / Construction Immobilier
Le statut des baux commerciaux repose essentiellement sur le mécanisme du droit au renouvellement et sa contrepartie, à savoir l’indemnité d’éviction.
L’indemnité d’éviction due au locataire d’un bail commercialLe statut des baux commerciaux (issu du décret du 30 septembre 1953, désormais codifié aux articles L. et R. 145-1 et suivants du Code de Commerce) repose essentiellement sur le mécanisme du droit au renouvellement et sa contrepartie, à savoir l’indemnité d’éviction.
Le locataire commercial, propriétaire de son fonds, bénéficie du droit au renouvellement de son bail commercial : il est en effet considéré depuis le début du XXe siècle que le respect de la propriété du fonds de commerce implique que le commerçant puisse bénéficier du renouvellement de son bail, ou à défaut puisse obtenir la réparation du préjudice causé par la récupération des murs par son propriétaire.
Le respect de la propriété commerciale doit dans le même temps être combiné avec le respect de la propriété du local.
La propriété commerciale est ainsi la source d’un abondant contentieux. Les mécanismes en la matière, éminemment dérogatoire, sont d’ailleurs parfois source de responsabilité professionnelle, ainsi que le révèle la lecture de la doctrine et des actualisations jurisprudentielles.
Sans aucune exhaustivité, il sera ici traité de quelques arrêts récents prononcés par la Cour de Cassation, arrêts qui sont l’occasion de rappeler les grands principes régissant l’indemnité d’éviction à laquelle peut prétendre le preneur commercial.
Il est bien entendu que le congé avec refus de renouvellement doit être nécessairement signifié par huissier. Cette exigence de signification par huissier est édictée à peine de nullité du congé.
Le congé avec refus de renouvellement doit également être motivé.
Toutefois, le défaut de motivation du congé n’entraîne pas sa nullité. La Cour de Cassation a récemment rappelé (Civ. 3ème, 28 octobre 2009, pourvois n° 07-18.520 et 08-16.135) cette solution par un attendu de principe ainsi libellé : « l’absence ou l’insuffisance de motivation d’un congé avec refus de renouvellement pour motif grave et légitime sans offre d’indemnité d’éviction laisse subsister le congé et le droit pour le preneur de prétendre au paiement d’une indemnité d’éviction ».
Ce congé (bien que signifié avec refus d’indemnité d’éviction et sans motivation suffisante) sera valable, et le preneur évincé pourra percevoir une indemnité d’éviction ; toutefois, l’insuffisance ou l’absence de motivation du congé n’empêchera évidemment pas le bailleur, après fixation du montant de l’indemnité, d’exercer son droit de repentir.
La même solution a été rappelée par la Cour de Cassation (Civ.3ème, 25 novembre 2009, pourvoi n° 08-21.029) pour les hypothèses de mauvaise foi du bailleur : le congé sera là encore valable, le bailleur étant « toujours en droit de refuser le renouvellement d’un bail venu à expiration en payant une indemnité d’éviction ».
Le contentieux porte également parfois sur la détermination de l’auteur ou du destinataire du congé avec refus de renouvellement et proposition ou refus d’indemnité d’éviction.
Notamment, lorsque le local fait l’objet d’une indivision, le congé doit être signifié à la requête de tous les indivisaires.
La 3ème Chambre Civile a également jugé le 9 décembre 2009 (pourvoi n° 08-20.512) qu’en cas de démembrement de propriété l’usufruitier d’un immeuble à usage commercial pouvait signifier un congé en l’absence du nu-propriétaire.
Le contentieux sur ce point est d’une importance particulière, s’agissant ici d’une nullité relevant du régime de l’article 117 du CPC, le preneur pouvant ainsi obtenir l’annulation du congé sans être tenu de justifier d’un quelconque grief.
S’agissant de l’engagement de la procédure aux fins de fixation et paiement d’une indemnité d’éviction, il faut rappeler le délai de deux ans spécifique au statut.
L’application du délai de deux ans aux actions en matière d’indemnité d’éviction a récemment été rappelée dans une situation particulière : un bailleur commercial avait signifié en 1994 à son preneur un congé avec offre d’indemnité d’éviction ; au cours de la procédure de fixation du montant de l’indemnité, le bailleur avec découvert une cause de refus d’indemnité ; il avait alors signifié le 2 décembre 2003 un nouvel acte, valant rétractation de son offre ; le preneur n’engageant pas de procédure, le bailleur lui a fait délivrer assignation dès le 22 décembre 2005, aux fins de validation du second acte, aux fins de constatation de la forclusion (désormais prescription) et aux fins d’expulsion : le raisonnement du bailleur a été validé par la Cour de Cassation, qui a ainsi consacré la perte du droit d’indemnité d’éviction en l’absence d’engagement de la procédure dans le délai de deux ans.
À l’inverse, la Cour de Cassation a logiquement rappelé (Civ. 3ème, pourvoi n° 08-14. 609) que la prescription biennale ne s’applique pas en matière d’action en résiliation, ne s’agissant pas ici d’une action spécifique au statut.
Conformément à l’article L. 145-28, le preneur évincé a le droit de se maintenir dans les lieux tant qu’il n’a pas perçu l’indemnité d’éviction.
Pour autant, son comportement postérieurement à la signification du congé peut dans certaines hypothèses entraîner la déchéance du droit à l’indemnité.
Une Cour d’Appel avait jugé qu’une demande subsidiaire de résiliation était sans objet compte tenu de la signification d’un congé avec refus de renouvellement ; cet arrêt a été cassé, l’attendu étant ainsi libellé : « sans rechercher si le manquement aux obligations du bail reproché au preneur constituait une cause grave et légitime de résiliation judiciaire du bail pendant la durée du maintien dans les lieux, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
L’article L. 145-28 prévoit en effet que, jusqu’au paiement de l’indemnité, le preneur bénéficie du droit au maintien « aux conditions et clauses du contrat de bail expiré ».
La Cour de Cassation a récemment consacré la déchéance du droit à une indemnité d’éviction dans une situation particulière : des bailleurs commerciaux avaient signifié un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction ; postérieurement, le fonds de commerce exploité dans les lieux a fait l’objet d’une donation ; toutefois, le notaire rédacteur de l’acte de donation avait omis de faire concourir à l’acte de donation le propriétaire des murs ; il a ainsi été jugé que l’acte de donation du fonds était irrégulier au regard des clauses du bail, et que cette cession irrégulière constituait « une infraction instantanée aux clauses et conditions du bail auxquelles les cédants, exerçant leur droit au maintien dans les lieux, devaient continuer de se conformer ».
Le cessionnaire du fonds de commerce s’est ainsi trouvé déchu de son droit au paiement de l’indemnité d’éviction (Civ.3ème, 28 octobre 2009, pourvoi n° 08-19. 573).
Cet arrêt n’est pas sans rappeler la décision du 4 janvier 2005 qui avait déjà ému certains (Chambre Commerciale, pourvoi n°03-10.284) : le Conseil du preneur avait omis de déclarer la créance d’indemnité d’éviction au passif de la procédure collective du bailleur ; certes, et compte tenu de l’insuffisance d’actifs de la procédure collective, le preneur n’aurait pas pu percevoir de quelconques dividendes au titre de l’indemnité d’éviction ; toutefois, l’extinction de la créance d’indemnité d’éviction pour défaut de déclaration (la procédure collective était antérieure à la loi de sauvegarde) avait entraîné la perte du droit au maintien dans les lieux, si bien que le preneur avait obtenu une indemnisation à ce titre.
On voit par ces quelques arrêts récents que le statut des baux commerciaux est particulièrement dérogatoire, et qu’il continuera à alimenter les juridictions, le contentieux se renouvelant d’ailleurs au gré des différentes modifications législatives et réglementaires.
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